Le 13 Mai 1958 (suite)



La situation est si évidente que le Comité est pris de panique.   Le bruit court que les militaires envisagent de faire venir de Kabylie des blindés de la 7 Division Mécanique Rapide et des troupes d'Oran pour nettoyer le G.G.

Cependant, à 23 heures, un képi étoilé qui passe inaperçu s'est glissé dans le G.G. et est allé rejoindre dans son bureau le général Salan.   C'est le mystérieux général Petit, bras droit du général Ely.

Arrivé par avion en civil,   il a tout juste pris le temps de se mettre en uniforme.
Le général Allard s'écrie:
  -   Vous nous avez mis dans un joli pétrin!
  -   Maintenant qu'on y est, il n'y a qu'à continuer!   
dit Massu, qui ne se perd pas en vaines récriminations.

Le général Petit, en effet,   gaulliste entreprenant,  a fait des promesses personnelles aux généraux d'Alger.   Il s'est engagé à ramener Soustelle l'après-midi du 13 mai.   Il devait même le prendre dans l'après-midi à bord de son avion militaire, comme son officier d'ordonnance.   Et Soustelle n'a pas voulu venir.   Il avait laissé entrevoir aussi l'approbation de   de Gaulle. Et de Gaulle, enfermé à Colombey,   reste obstinément silencieux.

L'attitude d'une partie du commandement,   qui ne comprenait ni Salan ni Massu,   a été réglée sur ces promesses.

Au cours de la nuit,   le général Salan se tourne vers le représentant de l'état-major général:
  -   Et maintenant, que faire ?

Le général Petit se met à rédiger un message à de Gaulle,   lui rendant compte du soulèvement populaire,   de la prise en main de la situation par l'armée pour éviter l'effusion de sang et l'adjurant d'intervenir pour sauver l'unité de l'armée et l'unité nationale.   Un message signé Salan.   Il le donne à taper et le soumet au commandant supérieur.

Salan corrige quelques mots,   raye le nom du général de Gaulle et adresse le message au président Coty.

C'est Massu qui enverra l'appel à de Gaulle   « pour qu'il prenne en main les destinées de la Patrie ».

Massu se rend compte que par ce télégramme il va franchir le Rubicon. Jusqu'ici, les proclamations ont été remarquablement prudentes.
  -   Il me faut l'approbation de Salan!   dit-il.
  -   Mais naturellement!   lui répondent les gaullistes.

Salan approuve.   C'est Massu, au nom du C.S.P., qui signe le câble.
De Gaulle ne le recevra que quinze jours plus tard,   quand il sera à la tête du gouvernement.

A 23 h 45, Massu vient au balcon pour annoncer l'appel à de Gaulle. La foule applaudit.
Le gouvernement de Salut Public qu'on réclamait restait bien abstrait. Le nom seul du Libérateur donne un visage à la révolution.

A minuit, nouveau coup de théâtre, secret d'ailleurs.   Félix Gaillard a réuni à Paris, dans la soirée,   un Conseil interministériel qui se tient en contact avec Pflimlin,   le chef du gouvernement en formation,   qui attend à l'Assemblée son investiture.

Le gouvernement moribond délibère et prend des mesures vis-à-vis de la révolution d'Alger.
Il coupe les communications téléphoniques et télégraphiques avec l'Afrique du Nord.
il interdit les départs d'avions pour Alger.
Il donne l'ordre de dérouter les navires se dirigeant vers les ports algériens.


Les préfets d'Oran, de Constantine, de Tizi-Ouzou, continuent de téléphoner.
La situation est calme dans leurs départements.
On a lâché trop vite les pouvoirs à Salan sur l'ensemble de l'Algérie.
On peut rattraper quelque chose.  Un second télégramme est envoyé à Salan, limitant ses pouvoirs à la zone d'Alger.

Le télégramme rectificatif,   qui ne sera pas retrouvé dans les archives d' Alger, est contesté.   L'entourage du général Salan tient que cette restriction de pouvoirs n'a été transmise que verbalement, par téléphone.
Elle intervient vers minuit.   Salan est en train de subir l'assaut de tous ceux qui veulent sauver la révolution en train d'avorter.


Le Comité de Salut Public constate, en effet, que la manifestation a échoué.
Le Parlement n'a pas cédé devant l'émeute, au contraire. Il est en train d'investir Pflimlin, dont les chances étaient très discutées.
Soustelle n'est pas à Alger.   De Gaulle ne se profile pas à l'horizon politique.

Un seul espoir :    que Salan prenne les choses en main, en conservant le Comité.
La directive restreignant les pouvoirs du commandant supérieur arrive à point nommé.
Elle indique une manœuvre inquiétante de Paris.
La colère du général Salan contre   les ministres,   les parlementaires qui l'ont désavoué dans   «  l'affaire de Sakiet  »   le saisit à nouveau.
Il étouffe la rectification. Et il prend l'offensive.

Pflimlin va être investi.

Salan va se faire investir d'abord par la foule algéroise !
Le colonel Marguet rédige, sur ses indications, une proclamation:

  Algérois, ayant la mission de vous protéger, je prends provisoirement en main les destinées de l'Algérie Française. Je vous demande de faire confiance à l'armée et à ses chefs, de montrer, par votre calme, votre détermination.


A 2 h 45 du matin, arrive à Alger la nouvelle du vote.
    Pflimlin obtient 280 voix contre 120.
Les communistes se sont abstenus.

On retarde, au Forum, l'annonce de l'investiture gouvernementale, pour procéder d'abord à celle du commandant en chef.

A 3 heures, Thomazo vient au balcon.
  -   J'ai à vous lire un appel du commandant supérieur.
  -   Il est de cœur avec vous.
  -   C'est lui qui a permis la manifestation d'aujourd'hui.
  -   Il prend votre tête...

  -   Vive Salan!   
crient quelques voix.
  -   Vive l'armée ! Vive de Gaulle !

Et puis les acclamations s'étoffent.
Et après la lecture de l'appel, c'est une véritable ovation qui monte.

  -   Ce général est le plus remarquable politique que j'aie vu en Algérie!   dit un des directeurs de Robert Lacoste en abandonnant définitivement son bureau aux insurgés.

Il est le gagnant de la journée!



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